Chapitre I

NOTES BIOGRAPHIQUES

Je naquis à Saint-Pierre-Jolys, Manitoba, le 13 d'avril, 1902, de parents canadiens-français et de foi catholique romaine.

Notre lignée ancestrale canadienne-française est vieille de trois siècles. Un coup d'oeil dans les registres de la famille paternelle révèle qu'au moins dix hommes ont embrassé le sacerdoce. Il y en a au moins autant dans la lignée maternelle. Ceux et celles qui sont entrés en diverses communautés religieuses, peuvent se compter par centaines.

Saint-Pierre est un joli petit village, canadien français en son entier, situé à quelque trente milles au sud de la ville de Winnipeg. Franchement, nous ne saurions trouver aucun village québecois plus français et plus catholique que cette paroisse manitobaine. Saint-Pierre a la distinction d'avoir donné plus de fils au sacerdoce romain, qu'aucune autre paroisse de l'Ouest canadien, à l'exception, peut-être de la ville cathédrale de Saint-Boniface. L'ancien abbé Louis Lahaie, notre précieux et fidèle collaborateur, est aussi un fils de Saint-Pierre.

C'est à l'école de ce village, dirigée par les Frères, que je reçus les premiers éléments de ma formation intellectuelle et religieuse. Ces études élémentaires étaient complètement sous le contrôle du curé local et des religieux de l'école. A quinze ans, je connaissais très bien mon catéchisme mais je n'avais aucune connaissance de la langue anglaise si nécessaire dans une province de l'Ouest. Quant aux protestants évangéliques, j'en avais jamais rencontrés, et je devais les considérer comme des hérétiques, les impies ou des francs-maçons. J'étais absolument satisfait de cette éducation sectaire qui me représentait les anglais comme les ennemis de ma langue maternelle et de ma foi ancestrale. Ce n'est pas sans orgueil, ni sans un sentiment de sécurité absolue, que je confiai alors, au curé de ma paroisse, mon avenir spirituel et temporel. Il était pour moi, le commencement et la fin des vérités spirituelles qui conduisent au ciel, et des sages et ex­perts conseils qui mènent au succès temporel.

Un jour, durant ses leçons de catéchisme, ce vieux prêtre à barbe blanche, nous raconta une histoire qui produisit dans mon âme un vif désir d'embrasser la vie sacerdotale, en même temps qu'elle engeandra une cer­taine aversion contre les protestants. L'histoire, il va sans dire, était vide de sens commun, mais elle avait bien servi au curé, car j'étais absolument convaincu alors, de l'étonnante doctrine de la transubstantiation. Bien plus, elle engeandra dans mon coeur une haine implacable contre les francs-maçons. Le clergé romain aime à décrier ces derniers comme les pires ennemis du Christianisme. Voici la version de cette histoire telle que racontée par le curé : "Un jour, les francs-maçons donnèrent de l'argent à un jeune homme catholique avec mission de garder et d'apporter l'hostie que le prêtre déposerait sur sa langue. Ainsi donc, lorsqu'il communia, au lieu d'avaler l'hostie, il la dissimula dans son mouchoir et l'apporta à ces francs-maçons qui voulaient essayer de détruire le Bon Dieu.

Ce méchant garçon avait agi comme Judas qui vendit Jésus pour quelques sous. Les francs-maçons, animés d'une haine implacable et sacrilège, placèrent l'hostie sur une table et la coupèrent en plusieurs morceaux, pensant ainsi tuer Dieu. Mais, 0 miracle, voici que du sang et encore du sang .. commença à jaillir de l'hostie mutilée, jusqu'au point de couvrir la table et le plancher, puis à remplir la pièce et la maison toute entière avec une telle rapidité que tous ces francs-maçons sataniques se noyèrent, à l'exception d'un seul. L'heureux survivant, que Dieu avait si misé­ricordieusement sauvé d'une mort inévitable, recon­naissant son tort, avertit aussitôt le curé de la paroisse de ce qui se passait. Le prêtre se hâta d'aller ramasser les particules de l'hostie consacrée et, à l'instant même, le sang cessa de se répandre et de causer de plus amples dommages.

Ce franc-maçon, ainsi réchappé, se confessa sur-le­champ et fit, le lendemain la plus fervente communion de sa vie. Il devint un paroissien modèle dans son milieu. Plus tard, il fit ses études au Séminaire en vue du sacerdoce. Puis, une fois ordonné prêtre, il devint vicaire de ce même curé."

Cette histoire qui n'avait évidemment aucun fonde­ment véridique, avait, cependant, atteint son but. J'avais fait mon choix. J'etais alors déterminé à devenir prêtre. Je ne pouvais imaginer aucun autre appel plus honorable que celui qui tonnerait, un jour, le pouvoir de changer un peu de pain et de vin au corps et au sang du Christ.

J'étais donc des plus heureux, lorsqu'un matin, après avoir servi sa messe, le curé: m'annonça que je devais aller au Séminaire en septembre prochain. Dès ce moment, je devins marqué pour le sacerdoce romain et pour le célibat qu'il exige. C'était alors très mal pour moi, de manquer la messe quotidienne et surtout de jaser trop amicalement avec les jeunes filles de mon village. Une telle conduite aussi scandaleuse pourrait devenir la cause de la perte de ma sublime vocation sacerdotale.

Bientôt, je me vis enfermé entre, les quatre murs du Petit Séminaire de Saint-Boniface. Mes études, dans cette institution, comprenaient surtout le latin, l'apolo­gétique et l'histoire de l'Eglise par des auteurs scru­puleusement romains. La discipline était rigoureuse et bizarre. A la fin des vacances dans sa famille, chaque étudiant devait rapporter avec lui,' une lettre testimoniale de son curé attestant qu'il avait assisté à la messe quotidienne, et qu'il n'avait pas même échangé un sourire ou une parole innocente avec les jeunes filles de, sa paroisse. A défaut de cette lettre favorable du curé, l'élève aurait probablement été chassé du séminaire.

Le Supérieur de ce Séminaire était un dictateur à la romaine. Il venait d'être suspendu de son ministère parmi les Ukrainiens canadiens, parce qu'il avait intenté un procès à son Evêque, sur certaines questions finan­cières. L'Archevêque Béliveau l'admis de nouveau dans le, ministère du rite latin pour le sauver d'embarras encore plus graves.

Ce prêtre possédait une vaste connaissance linguistique ainsi que de nombreux titres en philosophie et en théologie. Mais il ne réussit jamais à s'attirer l'estima des élèves ou encore moins des autres professeurs. Déja, j'avais entendu parler de son amour excessif de l'argent et de ses familiarités répétées avec les ukrain­iennes de ses missions. Mais il devint par la suite, le chancelier de l'Archidiocèse de Saint-Boniface, puis curé de ma paroisse natale.

T'ai pu suivre cet homme assez de près. C'était un prêtre romain typique. Muni de son autorité de prêtre et conscient de ses capacités dans l'art oratoire, il dictait militairement ses volontés aux autres et condamnait leurs faiblesses sans pitié, tandis qu'il était très indulgent pour lui-même, se permettant les libertés les plus scandaleuses dans sa vie privée. Le lecteur le reconnaîtra lorsque j'aurai l'occasion de parler de lui, un peu plus loin dans ce livre.

Le Séminaire de Saint-Boniface ferma ses portes durant l'épouvantable grippe espagnole qui fit tant de victimes dans tout le pays. Elle marqua aussi la fin de mes études dans cette institution. Après quelques années d'indécision, je repris mes études en vue du sacerdoce, au Séminaire de Saint-Victor de Beauce, dans la Province de Québec, C'est pendant mes études à cette institution que je commençai réellement à consta­ter que l'enseignement de Rome et la conduite de ses ministres sont rarement en conformité. C'est à ce moment là que mes illusions d'enfance commencèrent à s'évanouir et qui fut en définitive, le point de départ de ma déviation de l'Eglise catholique romaine.

A Saint-Victor, comme à tout autre séminaire ou collège de la province de Québec, l'enseignement est reservé à des prêtres les mieux éprouvés et les mieux qualifiés. 'Ils sont choisis par leurs Evêques en vue de --la formation de futurs prêtres. Il serait donc raisonnable de croire que l'étudiant pourra conformer sa vie sacerdotale future à celle de ces formateurs de prêtres. .Après tout, ces séminaires sont fondés avec l'autorisa­tion papale et leurs professeurs sont approuvés par des Evêques, représentants de "l'infaillible Pontife de . Rome."

Mais, que ce passe-t il donc, au juste, dans ces séminaires? D'abord, il y a ce traditionnel "chattage" qui déforme l'âme humaine et qui prépare les futurs maniaques sexuels, terreur de la société. Le mot "chattage" est une expression courante dans les col­lèges et séminaries de la province de Québec. C'est l'intimité vulgaire et anormale entre deux partenaires du même sexe. L'un est robuste, actif et viril, tandis que l'autre, au contraire, est plutôt jeune, délicat, éfféminé et subissant l'influence amoureuse du plus fort. Ces amants sont souvent le prêtre et l'élève ou le phi­losophe et le jeune étudiant en élements latins.

Il va sans dire que les conséquences de ces mariages contre-nature sont l'homosexualité et d'autres crimes sexuels dégoûtants. L'organisation de la vie commune dans ces institutions est tout à fait favorable à ces sortes de choses anormales et répugnantes.

D'abord, le prêtre célibataire est constamment en présence du jeune étudiant dans ces maisons d'en­seignement. Que se soit en classe, sur le terrain de jeux, au dortoir, au réfectoire ou à la salle de bain, l'oeil du prêtre est partout. Ajoutez à cela, le confessional qui est souvent dans la chambre même du confesseur, et qui est certes, un endroit des plus favorables pour les rencontres intimes et libres.

Il y a ensuite, ces longs entretiens, tête-à-tête, entre prêtres et élèves, sous prétexte de direction spirituelle. Plus d'un étudiant a perdu là, le respect du prêtre avec l'innocence de sa jeunesse. Il semble bien que tout cela fait partie du système d'éducation si cher à l'Eglise de Rome.

Un jour, alors que j'entrai dans la chambre de mon éminent professeur, un certain abbé Rodrigue, pour discuter de sujets académiques, je me vis face à face avec le "Waterloo" de mon respect et admiration pour le prêtre-professeur. Cet homme était un docteur averti en théologie et passait pour un saint prêtre. J'avais mal jugé ses convictions religieuses et sa sainteté sacerdotale par la manière angélique dont il disait la messe. Mais quelle révélation déconcertante ce fut pour moi de constater que ce prêtre était un hyprocrite consommé et un maniaque sexuel avéré. Je n'étais jamais entré dans sa chambre, auparavant; cette fois-là, ce fut la première et la dernière.

Avant; même de pouvoir dire un sent mot, il s'approcha de moi pour m'embrasser ... Je devins tout rouge de gêne et bien mal à, l'aise. A peine étais-je revenu à moi-même que ce monstre sexuel m'avait déja donné une exhibition rapide d'obscénités les plus dégoûtantes. Il insista que je devins complice de ses abominations sexuelles. Le refus me causa presque la ruine de mon année académique. J'étais alors son ennemi. En classe, il m'ignora complètement. Il s'empressa d'avertir le supérieur de la Maison que je n'avais point la vocation sacerdotale et qu'il serait sage de m'obliger à me retirer du séminaire immédiatement. D'après ce formateur de prêtres, un étudiant qui n'avait aucune disposition pour l'homosexualité, n'avait pas une sûre vocation sacerdotale.

J'ai bien cru dénoncer cet impudique anormal aux autorités du séminaire, mais il resta à son poste, celui de former les futurs prêtres. Ce qui est le plus répréhensible, dans cet incident, ce n'est pas la faiblesse d'un homme, mais plutôt, le système de Rome qui entraine, maintient et semble encourager de tels pervers dans son sein.

A partir de ce moment, je ne me sentis plus in­téressé au sacerdoce romain, si bien qu'à la fin de l'année scolaire, j'abandonnai le séminaire. Ma foi en la sainteté et en la sincérité du clergé romain était déja en balance. Mais, je croyais encore que la parole d'un confesseur était un ordre de Dieu. Il m'ordonna de rompre les fiançailles que j'avais contractées avec une jeune fille du village, et d'aller dans un autre collège et continuer mes études en vue du sacerdoce.

Je repris mes études au séminaire de Saint-Boni­face, qui était devenu un collège-séminaire dirigé par les Jésuites. Plus tard, je fis trois ans de théologie au grand séminaire de Québec, et enfin une dernière année de théologie au grand séminaire d'Edmonton, Alberta. Souvent, au cours de mes études théologiques, de sérieux doutes, concernant la vérité des doctrines romaines, venaient à mon esprit. Mais, ma conscience était toujours apaisée par les paroles réconfortantes de mon confesseur qui me disait que ces doutes, n'étaient que des tentations du diable.

C'est à ma paroisse natale de Saint-Pierre, Mani­toba, le 4 de juin, 1933, que je reçus le sacerdoce de l'Eglise de Rome. Ce jour-là, on me conféra les pouvoirs magiques de changer le pain et le vin en le corps et le sang de Jésus-Christ, de remettre les péchés, de renouveler le Sacrifice du Calvaire et de délivrer du purgatoire les âmes retenues dans cette prison imagin­aire. Les premiers jours de ma vie sacerdotale furent employés à remplacer le curé et le vicaire de ma paroisse natale. Ils méritaient une vacance, après le surcroît de travail occasionné par les préparatifs de' mon ordin­ation. La plupart de ce temps fut dévoué à la dé­sagréable tâche de préparer les déclarations écrites de huit jeunes filles qui voulaient dénoncer à l'Archevêque, les propositions sexuelles épouvantables du curé et du vicaire. Ce vicaire venait de l'Est et retourna dans le Québec. Le curé demeura à son poste. Comme prix de l'audace d'un jeune prêtre, j'ai du me résigner à ne plus être invité à officier dans l'église de ma paroisse natale.

Ma première nomination fut celle de vicaire à la paroisse de Saint-Jean-Baptiste, au Manitoba. Le curé de cet endroit, il faut bien le reconnaître avec. plusieurs de ses paroissiens, manifestait fort' peu de 'signes pratiques de sa foi au romanisme. C'était un homme malade, sans convictions religieuses et complètement désillusionné. Son pause-temps favori était les cartes, la bière et la compagnie appréciée de sa corpulante ménagère. Le dimanche, des amis-politiciens rejoigna­ient ce couple pour une bonne partie de cartes, pendant que son vicaire présidait aux cérémonies liturgiques des Vêpres.

Ce curé mourut subitement, laissant une ménagère inconsolable et un scandale financier dans la paroisse.

Son successeur fut un homme prompt de nature et d'humeur changeante. Il souffrait d'une maladie de foie, disait-on. Cela pouvait excuser ses débordements de caractère, et si vous le voulez, ses tendances af­fectueuses pour "le beau sexe". Les institutrices, sur­tout, se disputaient-les tendres caresses de ce bon curé. Dans ses moments de crise physique et mentale, je me plaisais à lui rappeler toutes les paroisses et missions qu'il avait imaginairement conduites au succès, et le pauvre homme se sentait mieux.

En 1935, mon Archevêque me nomma curé du Lac­-du-Bonnet, Manitoba. Après cinq années dans cette paroisse, je devins aumônier dans l'Aviation Royale Canadienne. A la suite d'un service à Winnipeg et Outre-mer, j'obtins, en 1942, ma libération honorable des autorités de l'Aviation, à Ottawa. Alors, je quittai le sacerdoce de l'Eglise de Rome. Tout ce volume est l'exposé des raisons, qui m'ont fait prendre une décision si importante.